C’est dans le silence de mon atelier qu’au départ les objets voient le jour. Des objets utiles de tous les jours qui tiennent dans la main, appellent à la caresse et retiennent le regard. Des statuettes silencieuses et transmetteuses de messages. Des objets en porcelaine ou en grès sobres, fins et épurés ; discrets et poétiques. Des décors d’arbres, des écussons de couleurs en touches discrètes, des transferts photographiques. Rien de tapageur. Un petit croquis dessiné vaguement dans un cahier à spirales petits carreaux après une nuit trop courte.
Mais derrière cette discrétion se cache la rigueur de la scientifique. Je note, j’explore, je pèse, je teste. Toujours à la recherche de nouvelles recettes de terre, d’engobes, d’oxydes, d’émail. Un passé de chimiste qui me poursuit. Enfant, je mélangeais sans cesse des couleurs de poudre de craie à de l’eau dans des petites bouteilles pour les aligner au grès de mes humeurs. Je réalise maintenant que mes expérimentations ne sont pas loin de cette habitude juvénile.
Après la rigueur du calcul, c’est la rigueur du geste. Le tournage de la porcelaine ne s’apprivoise pas du premier coup. Il demande patience et concentration. Des gestes sûres, des kilomètres de pratique pour qu’à la fin comme pour le derviche tourneur, le geste devienne hypnose. J’aime l’exigence de cette terre au delà de sa douceur. La surveiller sans cesse, la couver et déterminer le moment précis pour modeler, rapporter, fixer, tournasser.
Et puis depuis peu, je me suis intéressée au coulage. Une table de coulage attendait son heure depuis une dizaine d’année. Le travail en négatif était quelque chose de pas naturel et puis c’est venue. Un stage avec mon ancien professeur et je me suis remise à faire des moules en plâtre. Et là merveille, quelle finesse, quelle légèreté !
Mais ce n’est pas fini. Reste la partie déterminante du décor. J’ai toujours aimé les décors sobres où seul le trait comme le geste empli l’espace à la manière d’estampes japonaises. C’est pourquoi j’ai opté pour un simple trait de couleur appliqué au pinceau comme un calligraphe et posé contre un transfert de dessin tout simple. Ces dessins viennent au grès de réveries, d’apparations fugitives, de remarques, d’envies ou de voyage. S’ensuivent toute une série de croquis pour une poignée d’élus.
Après un séchage en douceur, le passage obligé par l’étape du feu m’attend. Point d’orgue où tout se concentre. Les défauts comme les qualités sont augmentés, magnifiés par l’émail qui va envelopper le tout de son satiné, de sa douceur et de sa brillance. Parfois les pièces sont laissées à l’état brute et granuleuses.
Pour certains, c’est une fête à la manière des célébrations païennes où tout le monde danserait autour du feu. Pour moi, c’est surtout l’attente solitaire face à un four hermétiquement clos à patienter que la température baisse pour oser ouvrir sans casser. Je tente vainement de faire autre chose, d’oublier les pièces dans ce four. Rien n’y fait, j’y reviens sans cesse, piétine devant, ouvre et découvre enfin… le fruit.
Des Collections dessinées
Histoires en filigrane
Toutes mes collections naissent d’une image, d’un dessin, d’un instant.
Elles viennent d’un souvenir, d’un détail, d’une obsession du moment. J’ai toujours un appareil photo à portée de main, que ce soit en voyage ou lors d’une simple promenade. J’accumule des images comme on garde des cailloux dans une poche : feuillages, ombres, reflets… ce que j’appelle ma matière en devenir.
Et puis, un jour, sans prévenir, ça ressort. Comme une évidence. La collection Prunier est née ainsi, d’un travail photographique. Puis sont venus les insectes, avec leurs ailes graphiques, presque irréelles. Les libellules surtout, avec leurs nervures fines comme des gravures. La série des Promeneurs, elle, a commencé au téléphone, avec de petits croquis griffonnés machinalement. Des silhouettes esquissées, comme autant de scènes de vie, de rêveries discrètes. Les Chats, quant à eux, m’ont soufflé l’idée de saisir ces pauses inimitables qu’ils prennent avec une grâce nonchalante, dans un monde où rien ne presse.
De l’ailleurs au dedans
Il y a aussi l’appel du lointain.
Je suis née avec une valise pas loin. Mes parents voyageaient beaucoup, et j’ai grandi en Asie, ne posant mes valises en France qu’à l’âge de 10 ans. Ensuite, chaque année, deux à trois mois d’évasion. Ces allers-retours m’ont façonnée, nourrie, portée. L’Australie m’a profondément marquée. Un pays à la fois proche et déroutant : la vie semble familière, mais les moineaux sont remplacés par des perroquets, les cerfs par des kangourous. C’est comme voir le monde avec des lunettes déréglées. Et ce peuple autochtone presque invisible et pourtant si présent par sa sagesse et son savoir. Et puis le Mexique, le choc culturel ! Quelle civilisation ! Ces temples gigantesques au milieu de la forêt. Et puis tellement d’autres pays et d’ailleurs. Ces civilisations qui nous poussent à déplacer notre regard occidental centré.
Le temps suspendu
Et puis le monde s’est arrêté.
Deux confinements ont passé par là… et avec eux, deux nouvelles collections ont vu le jour : Marguerite, en hommage à ce printemps étrange où les fleurs poussaient malgré tout. Envol, née d’une balade en bord de mer, juste avant le deuxième confinement. Un besoin d’air, de légèreté, de ciel ouvert.
D’autres souffles
Il y a eu les Koï, paisibles, contemplatifs.
La collection Cactus, souvenir du Mexique, de ses teintes profondes, de sa lumière tranchante.
Et enfin, mes bustes de femmes – un hommage aux amies de toujours, aux alliances solides et silencieuses, aux histoires d’amitié qui durent depuis plus de quarante ans.
Un panel de couleurs
J’aurais du mal à imaginer un monde sans couleurs. Je les aime toutes !
Les couleurs en céramique sont le fruit d’un long travail de pesée, de cuisson, de choix. Ce sont des moments où l’on se pose pour prendre le temps.
Chaque couleur a son histoire. Le moutarde, par exemple, était la couleur de la première terre que j’ai tourné dans mon propre atelier. J’étais encore rattachée à l’Icf (Institut de Céramique Française) dans un atelier loué à l’année et avec les professeurs à disposition. Un rêve. Je tournais donc de la faïence couleur moutarde. J’adorais sa couleur quand elle était encore un peu crue, pas tout à fait sèche, cuire comme on dit. Elle prenait la lumière de manière merveilleuse. Quand j’ai réussi à refaire cette couleur moutarde, j’étais aux anges.
Amoureuse des couleurs, j’ai même développé cette collection Berlingot constituée d’un camayeu de couleur dans les tons rouges, bleus ou roses posé sous formes de lignes ou librement caligraphiée. La collection Traces, aussi, est dans cette veine. J’aime l’idée du geste à la manière de Soulage.









